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dimanche, janvier 30, 2011

Mon afrique de l'Ouest













Je vais bientôt quitter l’Afrique de l’Ouest.Je vais certainement quitter une certaine Afrique parce qu’il me semble, pour le peu que j’en ai vu, que le continent est tellement vaste qu’il est trop vaste pour être décrit, appréhendé, aimé à sa juste valeur. Il y a tant de gens, tant d’enfants, tant d’ethnies, tant de langues, tant de pauvreté, tant de richesses, de couleurs, d’odeurs, de bruits, de musiques, de danses, de déserts, de brousses, de savanes, de vieux arbres que bien que je n’ai fait que traverser,en passant, cinq pays (Sénégal, Mali, Bénin, Togo, Burkina Faso) il me semble que j’ai croisé des mondes infinis. Et c’est devenu mon Afrique. J'ai bien cru que j'aimais le Sénégal,et la plage de Cap Skirring reste une des plus belles plages que j'ai jamais vue, mais voilà que j'ai encore préféré le Mali. J'ai bien cru que j'aimais le Mali mais voilà que j'ai préféré encore le Burkina Faso, si c'est possible... Ainsi de suite à force d'ici et maintenant. Ça n'a fait qu'aller crescendo. Une suite de bonheurs ininterrompus. A cause des gens principalement. A cause des Africains que j'ai eu le bonheur de croiser. Je me demande bien si,de l’autre côté, je trouverai des Africains comme ici.


Ce qui m’a le plus frappée? Forcément la lumière, la lumière partout, le soleil en direct,le soleil auquel il est si difficile d’échapper. Il vous inonde, il vous prend, il vous accable, il vous nourrit, il vous terrasse : vous ne pouvez qu’accepter de vous jeter dedans, de lui faire confiance. Tant pis ! Je n’ai finalement jamais ouvert les tubes de crème solaire indice 50 ! je lui ai dit : "Crame moi si tu veux, ce qui m’intéresse derrière cette chaleur, c’est ta lumière. Qu’elle me pénètre avec l’énergie qui va avec !".On en est resté là. Pour le moment il ne m’a pas donné de coup malgré les heures en mob,sans casque,sans chapeau.

Je ne voulais pas trop venir en Afrique.J’avais peur d’un je ne sais quoi. En taureau pratique je n’ai pas l’imagination fertile. Je restais à ruminer des clichés éculés. Peut être qu'il n’y avait pas de routes, peut être n’y aurait-il pas de bus. Peut-être que personne ne m’aiderait là- bas et que je serais seule dans la brousse en nage et loin de ma famille!!! Mais depuis je sais mieux ce qui se passait. Un homme à Bamako m’a raconté cette histoire. Disons qu’il s’appelle S. Ses amis lui disaient qu’il devrait rencontrer un certain P. Mais la rencontre ne se faisait jamais. Pour des raisons diverses S et P se manquaient de peu mais se manquaient toujours. Puis vint ce jour où son amie dit à S : "On t’emmène en pique nique et tu rencontreras enfin P". Je ne vais pas vous raconter tous les détails de qui faisait quoi mais S. a dit qu’il cherchait un disque dans une pile (c’était le disque favori de P en fait mais bien sûr il ne le savait pas encore), puis il est descendu. Au moment où on allait enfin lui présenter ce P mystérieux, S a dit avoir eu un moment d’arrêt et le temps de se dire : "Retourne toi très lentement,ensuite ce sera trop tard : le cours de ta vie sera bouleversé". Et ce fut le cas. Plus qu’un coup de foudre, une évidence, une conscience, des retrouvailles. Le premier regard, le seul, avait tout changé. Eh bien moi et l’Afrique c’est un peu pareil. Ce n’est pas de l’ordre du coup de foudre. C’est de l’ordre de la prise de conscience. D’un amour profond tapi là depuis longtemps et que j’aurais bien évité de retrouver cette vie ci. Un amour qui empêchera que ma vie soit pareille. Parce que là dans le berceau de l’humanité, m’a été rendue une part de la mienne. Je ne cherche que l’Homme dans ce voyage. Je veux bien visiter un musée, faire le chemin du retour, admirer le baobab, faire un safari même mais ce que j’attends, c’est l’indigène, l’homme, la femme et l’enfant du pays. Et ici, fondus dans leur paysage, sous ce soleil de plomb, au milieu des palmeraies ou dans les herbes rases, je les trouve en abondance. Il se peut qu’ils aient plein de défauts mais je ne parviens pas à les voir sachant par expérience que les défauts et les qualités sont tous deux le fruit d’une même énergie plus ou moins bien gérée. Ils sont indolents, peut –être, mais ils sont patients, ils sont lents peut être mais ils sont endurants, ils sont enfantins peut être mais ils sont fervents, etc.etc. Ils s’adaptent. Ils ne pensent pas trop, ils attendent beaucoup. Ils n’utilisent pas le temps comme nous en le faisant passer, en s’agitant, ils attendent que le temps les utilise, les mette en mouvements et alors ils sont forts, courageux et présents. Moi qui n’ai qu’une idée celle d’apprendre à aimer, j’en apprends beaucoup ici. De leur religiosité, de leur façon de faire de l’unité avec tant de diversité. J’ai lu le très beau livre "Ébène" élu en 2000 comme le meilleur livre de l’année par la rédaction de Lire (d’un journaliste polonais, Ryszard Kapuscinski,1932-2007). J’ai eu cette chance de voyager aussi avec lui, à travers lui. Grâce à lui, j’ai pu m’expliquer plein de choses. Pourquoi toutes les palabres se tiennent dehors sous le manguier et pas dans la maison? Parce que la case est petite, sombre, exiguë, qu’il n’y a de place là que pour dormir à même le sol battu, sur des nattes dans la nuit noire.

Pourquoi les gens ne se disputent pas après le coucher du soleil ? Parce que lors d’une discussion, il faut voir le visage des gens qui s’expriment pour savoir où ils en sont de leur colère et que la nuit on ne peut pas voir ces nuances, alors la suite de la querelle doit attendre le matin. Pourquoi les gens marchent-ils toujours en file indienne, en silence, attentivement. Parce que la roue n’a pas existé en Afrique pendant des millénaires. le continent était trop vaste. Il y avait peu d’échanges. Sans échanges pas de progrès. Pas de véhicules à roues, pas de routes. Seulement des pistes, des pistes sans fin qui se croisent, se coupent, et nous égareraient. La chaussée, le plus souvent en terre battue (la latérite), parfois en asphalte(le goudron) est récente ici, alors les Africains n’ont pas changé pour autant leurs habitudes de marcher à la queue leu-leu même sur la route large,et de guetter le serpent en silence... De toute façon pas facile de discuter en file indienne… Par exemple. Et en contre bas du goudron, à perte de vue on en voit sur ces sentiers marcher, marcher, marcher(les femmes surtout,l’enfant endormi dans le dos)d’un pas mesuré, régulier, tranquille, adapté, avec sur la tête des charges inconcevables, des jerricanes d’eau, des fagots, des sacs de grains, des régimes de bananes, des piles d’ignames. Qu’est ce que c’est beau ! Je pourrais aussi bien dire qu’est ce que c’est sacré, qu’est ce que c’est divin, cette « fusion avec l’environnement », cette résignation aux circonstances extérieures, cette noblesse de port et cette jeunesse de cœur. Car la lumière, elle est aussi dans les regards. Qu’est ce que je les trouve beaux les gens en Afrique ! Comme s’ils prenaient le temps de l’être. Ils n’ont rien et font comme s'ils avaient tout. Ça me bouleverse. C’est comme si la foi les illuminait. L’espérance d’un lendemain meilleur les tient. Ils prient en vrai, comme des enfants peut être(en tous les cas comme moi,je priais enfant. Ils demandent. Et ils y croient et ils attendent. L'Africain sait qu’il est menacé de toutes parts, il est incertain du lendemain (trop de pluie, pas assez), il a à lutter sans arrêt. Il ne sait quasiment jamais d’où viendront les 200 Frs pour le riz du soir mais il y croit.


Il est bien rare de voir une jeune femme sans un bébé accroché à son dos. Celle-ci avait 3 paires de jumeaux (5 ans, 3 ans, 6 mois). Quand l’autocar s’arrête pour en laisser une femme descendre comme c’est beau de la voir attacher son enfant à l’aide de son foulard en percale parfois assorti à son boubou. Elle se penche en avant avec une grâce extrême. Alors le bébé qu’elle a sorti du sein et qui ne se réveille même pas est allongé à plat ventre sur sa colonne vertébrale, elle noue le devant en un geste rapide et sûr emprisonnant le bébé aux aisselles, puis se redresse. Le petit de l’homme est maintenant debout, suspendu! Elle serre alors le tissu sous ses fesses qu’elle remonte de façon à l’asseoir et à ce que ses petits pieds dépassent sur le devant sous ses bras à elle, puis elle noue fermement le siège à la taille, prend l’autre, ou les deux autres enfants, à peine plus grands par la main et en dernier, pose sur sa tête l’énorme bassine remplie de ses affaires (la bassine peut tenir lieu de valise quand on n’en a pas) ou de la marchandise à vendre et elle descend, élégante, naturellement racée. Ça me fait pleurer de bonheur toute cette beauté en liberté.

Mais il y a plein d’autres choses : leur culte des ancêtres, leur religiosité parfois tellement superstitieuse, leur sens de la famille, leur faculté de partage, leur humour désopilant, leur façons de dire « présentement » ou « vouâlà ». Entendu dans le bus d’une maman qui achetait un yaourt sur le bas côté lors d’un arrêt pipi : «Tu vois le lait c’est Dieu qui te le fait et quand il est vieux Il te le caille ».( !!!). Quand je dis à Gouty que Ouaga s’agrandit vite : «la ville tu vois, elle cherche son petit chemin de plus en plus loin ». Les hommes savent ici que c’est l’homme qui fait l’Homme, alors, dans le bus, mon voisin dit : « l’Homme naît de la main de l’homme, il est enterré par la main de l’homme. Entre les deux sans un coup de main d’un autre homme, l’homme ne peut rien faire». Simple et précis!


Mais je ne peux pas vous dire ce que je voudrais. Je n’ai pas les mots pour. Ma culture tellement européenne ne me permet pas de comprendre, je ne peux qu’appréhender, qu’effleurer et qu’aimer ce qui est là, offert. Je touche beaucoup de choses qui me semblent profondément justes, au moins dans le fond si ce n’est dans la forme, alors forcément, moi qui essaie depuis tant et tant d’années de voir en vrai, de voir la beauté de l’esprit derrière la forme, d'investiguer profondément les liens entre le visible et l’invisible, ici je suis gâtée. Aussi c’est moi qui suis, en réalité,touchée. Ça va encore paraître à certains exagéré( un grand maître de la voyance vaudou vient de me dire pendant la conférence que ceux qui pourraient être mes amis me trahissaient toujours, transformaient sans cesse mes propos et mes dires pour me nuire !). J’ai dû le mériter! Et pourtant c’est ma vérité : j’ai du mal à savoir si je suis blanche ou noire à l'instant présent. Ça ne veut plus rien dire.ce que c'est que de travailler des années sur l'identification !!!
"Mais forcément tu es blanche Anne, parce que tu ne connais rien de ce que les Noirs connaissent,tu ne sais pas marcher dans le noir.Sans ta lampe frontale tu te crois perdue! Tu ne sais plus rire à gorge déployée (une mamie dans le bus, a dit à un enfant qui se moquait d’elle en triant : "Hé, toi là !Cache tes dents!").
Anne,tu ne sais pas ronger les os, on l’a vu à Gaoua, tu ne respectes pas tes ancêtres, tu ne connais aucun nom d’arbres à part "palmier", "baobab" et "manguier", "argousier" à la limite! Tu n’as aucune idée de la profondeur de la jungle, tu mourrais de soif dans un désert, tu te perdrais sur l’interminable sentier de brousse, tu ne connais pas un seul dialecte, tu n’as même pas de pieds pour danser. …. Heureusement tu es plus tressée que stressée.
Heureusement tu as le même Dieu qu'eux, le même sang et un cœur qui s’entraîne à battre au rythme du monde entier.
Heureusement tu fais ce que tu avais dit que tu ferais : tu apprends à aimer. J’essaie de te rendre le travail facile.
Heureusement tu es venue me voir, me montrer que tu m’aimais d’avance et me dire merci, jusqu'ici. Cherche encore dans le beau regard de mes Hommes."
Voilà ce qu’elle me dit l’Afrique de l’Ouest que je quitte pour le Gabon. Si le racisme ne fait pas que l’on me refuse le visa ! Puis pour l’Afrique du Sud, puis pour l’ Afrique de l’Est… Heureusement je pourrais revenir in this beautiful West AFRICA en plein réveil.

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