Magazine Psychologie Article de Patrick Estrade
Formé à l’Institut de psychologie analytique de Berlin, il est psychologue, psychothérapeute, écrivain et conférencier. Dans Ces souvenirs qui nous gouvernent (Robert Laffont), il nous fait prendre conscience page après page de la valeur de nos souvenirs, de leur profondeur, de leur sens.
Son message : « Nos souvenirs nous parlent et nous ne les écoutons pas. »
Il se définit lui-même comme un « interprète de souvenirs », comme d’autres interprètent les rêves. Le psychologue et psychothérapeute Patrick Estrade en a récolté plusieurs milliers, et les étudie depuis plus de vingt ans. Ils sont pour lui la marque indélébile de notre individualité, notre signature personnelle, la preuve que notre existence n’appartient à personne d’autre. Si les spécialistes de la mémoire sont très nombreux, rares sont ceux qui se sont penchés sur les souvenirs. Dans son dernier ouvrage, il amorce une passionnante théorie. Explications.
Ils influencent notre destinée
« Nous sommes si habitués à regarder au loin que nous en oublions ce qui est proche de nous. Les souvenirs, cela semble tellement commun ! Ma pratique de psychothérapeute m’a conduit à les regarder de près et à constater qu’il y avait là une immense richesse peu exploitée. Nos souvenirs nous parlent, mais nous ne les écoutons pas, car nous ne savons pas comment les lire. Nous n’avons pas conscience de leur sens caché, ni de leur pouvoir sur nous. Ils sont notre référence historique. Ils révèlent comment nous abordons la vie, quelles sont nos peurs, les rapports que nous entretenons avec les autres, notre style de vie, nos talents.
Les souvenirs sont notre fondement, le sol sur lequel nous marchons durant toute notre vie. Ils décident de nos choix et influencent notre destinée. C’est peu dire qu’ils nous gouvernent. Un homme, par exemple, vient me voir, car il est en perte de repères. Il me confie ses souvenirs de nombreux déménagements dans son enfance. En langage populaire, je dirais qu’il ne sait plus où il habite… Nos souvenirs nous permettent de nous orienter dans le monde. Ils nous servent de repères. Ils peuvent également constituer un frein à notre évolution, comme dans le cas de ce garçon que son père avait dénigré et qui, aujourd’hui, n’arrive pas à aller au bout de ses entreprises. »
Un baromètre émotionnel

Un souvenir reste donc gravé en nous par la force des émotions qui l’accompagnent ainsi que par la manière dont nous avons pu ou non lui donner du sens. Tout ce que nous vivons, la plus légère impression ou la plus grande douleur, s’inscrit sur le disque de cire de notre mémoire, comme les microsillons d’autrefois. Une femme me raconte l’immense joie qu’elle a ressentie le jour où, en classe, alors qu’elle pensait sa mère en voyage, elle l’aperçoit par la fenêtre. Voilà une émotion qui s’est définitivement gravée en elle. »
Toujours prêts à remonter
« Ceux qui disent ne pas avoir de souvenirs se trompent : les souvenirs oubliés ne sont pas des souvenirs perdus, ils sont quelque part en réserve dans notre cerveau. Ils ressemblent aux poissons : certains affleurent à la surface de l’eau et sont bien visibles, d’autres restent dans les profondeurs. Ils n’en sont pas moins là, prêts à remonter un jour ou l’autre. L’inconscient a un ascenseur très efficace. Il laisse seulement remonter les souvenirs dont nous avons besoin aujourd’hui pour évoluer et que nous sommes capables d’affronter. Je le vois chaque jour en thérapie lorsque, par exemple, une personne a manifestement subi un inceste et affirme ne pas s’en souvenir. Mais attention, ne forçons pas la porte des souvenirs. S’ils ne viennent pas, c’est que nous ne sommes pas prêts. »
Ils nous délivrent

Il est également important de verbaliser ses mauvais souvenirs ou de les déposer quelque part. Je demande parfois à mes patients de les écrire, puis de les glisser dans une enveloppe et de les enterrer dans un sanctuaire. Cela peut être mon cabinet. Si quelqu’un, quelque part, a vécu une souffrance sans jamais avoir pu l’exprimer, j’aimerais qu’il puisse s’en défaire. J’ai créé un blog (souvenirs-souvenirs.blogspot.com ) dans cette intention. Les bons souvenirs, en revanche, il faut les faire mousser ! Ils nous emplissent et nous nourrissent, nous empêchent parfois même de dormir, puis ils se déposent, se sédimentent. Ce sont des réservoirs de bonheur. »
Notre regard sur le passé

Les souvenirs permettent d’éclairer le moment présent, de se réapproprier son histoire, de la poursuivre, d’étoffer sa personnalité. Aller à la recherche de ses souvenirs, c’est comme mettre en ordre sa maison. On enlève la poussière, on se débarrasse d’objets devenus inutiles et, parfois, on retrouve un objet de valeur perdu. Il y a des énergies cachées dans les souvenirs retrouvés. Il faut juste apprendre à les accueillir et à leur donner du sens. »
Qu'en faire ?
Cultivez les bons

Déposez ceux qui font mal
Pour les souvenirs très douloureux, précise le psychothérapeute, « n’essayez surtout pas de vous en débarrasser en les refoulant ou en les enterrant, ce qui reviendrait à nier une partie de vous-même. Choisissez plutôt de les déposer. Ecrivez-les et demandez à un proche s’il veut bien en être le dépositaire ».
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